Histoire d’Isale (3/7)

Pour les vingt ans d’Isale, le Roi avait fait organiser un grand tournoi de chevalerie. Nul n’ignorait que cette célébration serait aussi l’occasion pour le souverain de choisir parmi les innombrables prétendants de la Princesse celui qui deviendrait son Promis.


Quelques années auparavant avait eu lieu une terrible dispute entre Tristan et le Roi : le Prince héritier du Trône d’Ivoire, pétri qu’il était de la culture philosophique et politique du Grand Empire, avait exposé à son père l’ensemble des réformes qu’il comptait initier des son arrivée au pouvoir. Son père, d’un tempérament très conservateur, avait rejeté en bloc tous ces projets et affirmé d’un ton furieux que la Loi du Vieux Royaume était indissociable de son identité.
Entre les deux hommes le ton était rapidement monté et des paroles irréparables avaient été prononcées.
Tristan était parti le lendemain avec quelques un de ses plus fidèles compagnons. Nul n’avait eu de nouvelles de lui depuis lors.

Le grand tournoi des Vierges d’Eté n’était donc pas seulement destiné à trouver le futur époux d’Isale : il devait aussi désigner le prochain Roi du pays.
Et ainsi, des quatre points cardinaux, les plus vaillants de tous les hommes étaient venus conquérir la main de la plus belle des femmes et, par la même occasion, la couronne du plus ancien des royaumes.
Il y avait le Chevalier de la Lune et son armure d’argent, le seigneur Oraison auquel nul adversaire ne survivait, il y avait aussi les terribles Jumeaux Ecarlates ainsi que le Cavalier Sans Nom dont l’épée enchantée brisait n’importe quel bouclier.
Tout autour du château les tentes de tournoi des champions avaient été installées, arborant fièrement les bannières de leurs propriétaires respectifs : les animaux héraldiques claquaient au vent comme autant de défis muets.
Le griffon fauve du colossal Faiseur de Veuves faisait face aux Licornes ombre et lumière du Champion de la baronnie des Murmures.
Le Masque noir du Roi Sans Couronne souriait crânement à l’étendard aux Epées de la compagnie de l’Epervier.
Griffes et crocs, flamberges et boucliers s’entremêlaient dans un chatoiement permanent de laine et de soie.

Les tournois du Vieux Royaume étaient réputés pour éprouver autant l’ardeur au combat de leur participants que l’acuité de leur esprit : en effet la grande Roue de la Fortune utilisée avant chaque affrontement pouvait aussi bien proposer la conventionnelle Joute à cheval que la partie d’Echecs, le Tir à l’arc que le duel Rhétorique.
Dans les temps anciens de nombreux grands guerriers trop habitués à laisser leur masse d’arme penser à leur place avaient ainsi appris l’humilité au détour d’un Mat en 5 coups ou d’une réplique cinglante.

Au cours de neuf jours que dura le Tournoi de la princesse on vit force exploits et affrontements épiques dont certains devaient rester fameux dans les annales du Vieux Royaume. Présidant les affrontements, assise sur son estrade de Reine de Beauté, Isale observait les événements avec une attention mêlée d’angoisse, son père à ses cotés.
Derrière eux, imperturbable, l’Enchanteur restait silencieux.

Le dernier jour du Tournoi était celui de la Mêlée : les cinq Champions encore en lice devaient s’affronter simultanément dans un combat sans règles particulièrement violent. Celui qui, seul, resterait debout une fois le silence revenu dans l’arène serait considéré comme vainqueur.
Le cœur de la populace balançait entre le noble Epervier et un grand diable de chevalier errant à l’armure ternie, dont les victoires, aussi inattendues que successives, n’avaient cessées de faire rêver les gens du commun.
Les experts dans l’art de la guerre, eux, misaient plus sur le terrifiant Roi sans Couronne et sur l’implacable Oraison.
Isale, pour sa part, n’avait d’yeux que pour le blond et souriant Prince des Marches de l’Ouest, ce qui n’avait échappé ni au Roi ni a l’Enchanteur.
Les deux vieillards échangèrent alors un regard entendu.

L’affrontement final fut mémorable, bien digne des neuf jours qui l’avaient précédés.
Par la suite il y en eut quelques uns tout de même pour déplorer que la longue épée noire du Roi Sans Couronne se soit brisée lors de son duel avec Epervier. D’autres pour regretter la malencontreuse chute d’Oraison alors qu’il luttait sans faiblir face à ses deux derniers adversaires.
Mais tous et toutes applaudirent pourtant de bon cœur lorsque le magnifique Prince des Marches de l’Ouest s’agenouilla devant Isale pour, aux yeux du Royaume tout entier, lui demander sa main.

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