A dix ans Isale était la plus jolie petite fille du monde.
Rieuse et turbulente elle faisait la joie des serviteurs du château à défaut de faciliter la tache de ses précepteurs. C’était une enfant magnifique et, ayant réalisé très tôt le pouvoir de ses grands yeux sur les adultes, elle usait et abusait de son charme pour se faire passer tous ses caprices. Toutefois, comme elle ne poussait jamais le bouchon trop loin, tous lui pardonnaient de bonne grâce ses espiègleries.
Malgré le carcan plutôt rigide de son éducation de princesse, la petite avait vite fait de s’affirmer comme un véritable garçon manqué : elle courait partout, s’habillait avec des tuniques volées aux marmitons du palais et mijotait des tours pendables en compagnie de l’apprenti du Ménestrel, son inséparable compagnon de jeux.
Les dames de compagnie de la Reine s’arrachaient les cheveux face à ce comportement très peu princier et expliquaient à qui voulait l’entendre qu’Isale ne trouverait jamais d’époux digne d’elle si elle continuait à se comporter en sauvageonne.
Le Roi, quant à lui, ne pouvait rien refuser à sa fille : scandalisant toute la cour il l’avait autorisée à participer aux cours du Maître d’Armes pour apprendre le maniement de l’épée et du bouclier en compagnie des jeunes garçons de bonnes familles.
Le vieux guerrier bourru était, par ailleurs, le seul de ses professeurs qui arrivait à canaliser le tempérament volcanique d’Isale : mentor révéré du Prince Tristan, chevalier légendaire et Général en chef des armées il jouissait d’un prestige considérable auprès de la Princesse qui, comme tous les enfants du Royaume, connaissait par cœur le récit de ses exploits de jeunesse.
Le Ménestrel et l’Enchanteur avait moins de chance : la petite fille semblait mettre un point d’honneur à les contrarier dans leurs aspirations éducatives.
Les cours de solfège et de chant se voyaient ainsi immanquablement ponctués de cris d’animaux, de contrepets divers et variés voir, dans les cas les plus extrêmes, de chants de corps de garde particulièrement imagés qui avaient le don de faire rougir tout le monde.
Dans le même ordre d’idée les remarquables talents d’Isale pour la magie semblaient trouver un fascinant terrain d’application sur le terrain des farces et attrapes : on ne comptait plus les multiplications de crapauds dans la cuisine ni les disparitions inexplicables de pâtisseries pourtant mises sous clés.
Un pluvieux jour d’automne l’Enchanteur avait menée cette élève turbulente dans la Chambre des Miroirs.
Sans jamais cesser de parler (d’avenir, de prédestination et de bien d’autres choses dont la princesse ne devait garder qu’un souvenir flou) il avait dévoilé à Isale deux Reflets. Dans le premier Reflet elle avait vu une très belle et gracieuse dame qui, allongée dans un grand lit blanc, tenait un bébé au creux ses bras. Ses cheveux châtains étaient ponctués d’une unique mèche d’Or pur.
Dans le deuxième Reflet elle avait vu une noble vieille femme aux yeux tristes. Immobile sur un Trône d’Ivoire elle portait une couronne de diamant et contemplait le portrait d’un bel homme blond. Ses cheveux blancs étaient ponctués d’une unique mèche d’Or pur.
Puis l’Enchanteur l’avait renvoyée aux jeux et aux rêveries de son age.
La petite princesse vouait un véritable culte à son grand frère et ne perdait jamais une occasion de se tenir à ses cotés, abandonnant, dans ces cas là uniquement, ses manières de souillon au profit d’une chevelure peignée et de robes de soies vives.
Dans ces moments là, toute la Cour, du plus simple des métayers au chevalier le plus altier, se souvenait du surnom que lui avait donné Oberon des années auparavant.
Et même les Dames de compagnie de la Reine ne trouvaient rien à redire.