Periode Big White

Voici deux petites nouvelles que j’avais rédigées pour la rubrique INS/MV du SDEN il y a treeeees longtemps.

A l’époque je polluais le forum du Haddock Café sous le charmant pseudonyme de Big White.

 

Mauvaise Proie.

La musique hurlait dans l’obscurité comme une truie qu’on égorge tandis que les flashes incessants de l’éclairage prêtaient à chaque danseur un kaléidoscope d’expressions statufiées.

La boite de nuit pulsait à l’unisson des cœurs en transe de chacun de ses sujets pour ne finir par ne former qu’un seul puissant organe vital au rythme syncopé. A froid, c’était une sensation étrange et déplacée, on se sentait désaccordé, en dissonance avec l’univers. Mais une fois qu’on était bien « parti », tout coulait de source, on entrait dans la Ruche comme on entrait en religion.

Plus de place pour le doute, plus de place pour les peurs, on vibrait en harmonie avec les autres danseurs dans une mouvance mystique, presque shamanique, qui ne laissait plus rien exister, qui permettait tout.

Et c’est précisément pour cela que ce soir quelqu’un était venu. Avec le Bon Droit, la Parole Divine et du Feu dans son poing. Quelqu’un était venu régler le problème que commençait à poser la Ruche en haut lieu. Les substances spécifiques qui étaient mélangées aux boissons n’étaient bien sûr pas étrangères à la frénésie qui régnait en ces lieux, et, dans le même ordre d’idée, les belles gueules d’amour qui donnaient le ton de révolution morale et sexuelle qui faisait le cachet si particulier de cette boite de nuit parisienne n’était pas toutes bénévoles. Tout avait été pensé, dessiné (avec la multiplication des alcôves sombres qui permettaient tant d’échanges…) pour faire de ce lieu l’antichambre du Pandémonium tel qu’on aurait pu le concevoir il y a quelques siècles de cela, une sorte de Sabbat permanent sponsorisé par de grandes marques d’alcool et de préservatif.

Intolérable.

Devant l’intrus, les danseurs s’écartaient, un instant gênés dans leur sarabande sans vraiment savoir pourquoi – ce grand garçon n’avait finalement rien de choquant, bien au contraire, si ce n’était cette impression de violence contenue, excitante pour certains d’entre eux aux goûts plus raffinés et décadents – ils s’écartaient comme l’avaient fait les videurs quelques minutes auparavant, en baissant les yeux, l’air d’être arrivés là par accident, de regretter déjà leurs mauvaises actions passées. L’homme se dirigeait vers la lourde porte sur laquelle se lisait le mot « Privé » comme gravé au fer rouge en lettres gothiques, Il avançait à la manière d’un Juggernaut des temps anciens, inéluctable. Le géant qui gardait la porte le dévisagea froidement et s’interposa au dernier moment ; les deux hommes se fixèrent quelques secondes, laissant la tension s’accumuler de façon presque palpable. Le géant fronça les sourcils, comme s’il entendait mal ce que lui disait son oreillette, puis fit un large sourire avant de se décaler sur la gauche pour laisser passer son vis–à-vis… et lui emboîter le pas dans un étroit couloir qui semblait ne mener nulle part ailleurs que dans les ténèbres primordiales.

En un sens c’était exactement le cas puisque ce couloir menait au « carré VIP » de la Ruche, l’endroit où les célébrités des divers écrans, ondes et magazines pouvaient se retrouver entre eux afin de faire la même chose que ce que faisaient les autres un peu plus loin, la même chose en plus privé et en plus cher généralement. Quelques demi-mondaines décoraient la pièce, à moitié immergées dans un jacuzzi bouillonnant, nues et luisantes comme autant de prix à gagner, et il s’agissait vraiment de ça quand on connaissait les habitudes du lieu. Une grande et belle femme (trop belle, pensa l’intrus), prit le relais du géant avec d’exquises manières et mena l’homme vers une partie de la pièce moins remplie qui donnait sur une autre porte (« il faut traverser les sept cercles », lui dit-elle avec un petit sourire ironique) et le précéda dans un petit cabinet confortablement meublé et artistiquement décoré. Elle s’installa dans un grand fauteuil en cuir et croisa ses longues jambes, le fixant un instant de ses yeux verts et brillants avant d’articuler, amusée et séductrice :

 » Etre venu me tuer ne vous empêchera pas de prendre un petit cognac mon cher ami ? Il faut s’avoir allier l’utile a l’agréable, n’est ce pas ?

L’homme semblait surpris de la tournure prise par les évènements. Il se ressaisit et eut un mauvais sourire :

– Vous m’attendiez , madame ?

– Apres le « suicide » (elle insista particulièrement sur ce mot) du député Chabriac la semaine dernière, nous étions logiquement les derniers sur la liste…

– Et pas de fuite ? On ne cherche pas a sauver sa misérable carcasse du Jugement ?

– A vrai dire je n’aime pas partir dans la précipitation, et j’étais très impatiente de vous rencontrer Mr d’Arbanville, Serviteur, Ami et Maître de l’épée, au service du seigneur Laurent, Gardien de Paris et de ses environs (au fur et à mesure qu’elle égrenait ses titres, son sourire extatique s’élargissait). J’étais certaine que nous aurions beaucoup à nous dire…

– Vous semblez bien renseignée.

On pouvait lire sur le visage de l’homme une contrariété certaine, toutefois la voix restait calme et posée.

– Oh , ne soyez pas modeste , vous êtes une véritable célébrité dans notre belle ville, et votre habitude de régler vous mêmes vos affaires sans faire appel à votre… famille vous a créé beaucoup d’admirateurs chez nous… beaucoup d’admirateurs qui souhaitaient vous rencontrer…

La porte s’ouvrit et une demi-douzaine de personnes entra dans le cabinet, une faune hétéroclite qui n’avait rien à faire dans un endroit aussi sélect : un skinhead avec une croix inversée tatouée sur le front, deux punks aux crêtes rouges vif et trois autres animaux rares du même acabit. La dame était franchement hilare.

Debout, l’intrus observa tout cette petite assemblée, façon cour des miracles, avec un air suprêmement méprisant :

– Et le principe de Discrétion ? interrogea-t-il.

– Ne vous en faites pas pour ça, mon cher, de toute manière la Ruche va sauter dans quelques secondes, une explosion a laquelle nous survivront, bien entendu, et que nous comptons mettre sur le dos d’une association catholique intégriste… Enfin quand je dis que NOUS y survivrons, je m’avance peut être un peu… en tous cas ce n’est pas cela qui vous tuera, rassurez vous !!!!

– A ce compte là, vous auriez aussi bien pu faire participer votre Familier à la curée…

– Vous n’y pensez pas voyons !! Qui partirait avec la caisse ?! Enfin … on discute , on discute et je sens mes invités qui s’impatientent Et si nous y allions, messieurs ? Adieu, si j’ose dire, Monsieur D’Arbanville »

Le Skin arborait maintenant de formidables griffes suintantes de poison à chaque main et semblait se pourlécher avec une langue barbelée démesurée. Chacun des « invités » s’était transformé au cours de la discussion en créature de cauchemar, qui recouvert d’une carapace rougeoyante, qui équipé d’une gigantesque hache d’obsidienne mugissante réclamant du sang et des âmes.

L’homme au milieu de cette galerie des horreurs tenait dans chacune de ses mains une grande épée gravée de symboles pieux et de croix, sa peau reflétait la lumière comme de l’argent. Son sourire ne reflétait pas une once de peur, rien d’autre qu’une sorte de plaisir mauvais. Quand il parla se fut en détachant chaque mot, chaque syllabe constituant une condamnation à mort :

« Jérémiah d’Arbanville a rejoint notre Seigneur la semaine dernière au cours d’une mission commandée. Je n’ai pas encore décidé lequel de mes lieutenants j’allais nommer à son poste pour le remplacer… En attendant, malheureusement pour vous, je garde Paris moi-même. »

 

De Profundis

Ulrich et les autres couraient comme si leur vie en dépendait, ce qui était précisément le cas. Le bruit mouillé de chacun de leurs pas raisonnait a travers les égouts, mais pas suffisamment, et de moins en moins à chaque seconde qui passait, pour couvrir la rumeur sourde qui montait derrière eux dans un crescendo d’une justesse absolue dans la terreur. John Carpenter aurait probablement applaudi devant tant de maîtrise.

Le petit groupe s’était infiltré dans les sous-sols de Londres pour mettre un point final a l’enquête qu’il menait sur l’inquiétante recrudescence de disparition de S.D.F. ces deux derniers mois dans les bas-fonds de la capitale anglaise. En un sens, ce qu’ils avaient trouvé dépassait toutes leurs espérances. Malheureusement ça dépassait aussi largement leurs capacités d’intervention.

« Fuir pour combattre un autre jour » était une vieille devise du peuple viking que, pour le coup, Ulrich et les siens appliquaient a la lettre : deux d’entre eux étaient blessés (Karl avait la cuisse gauche salement amochée et serrait les dents à chaque avancée tandis que Erik mettait au supplice ses 3 côtes brisées en suivant le rythme d’enfer que leur imposait leur survie) et Sissel ne disposait absolument pas du temps nécessaire pour les remettre d’aplomb. Il fallait sortir de ce gigantesque trou a rat, prendre le temps de se reposer et revenir plus tard, si possible en doublant leur effectifs, si on voulait pouvoir régler son compte à l’horreur qui régnait en ces lieux, et il le fallait absolument : c’était une lutte sacrée.

Le bruit se rapprochait, ce bruit si particulier que produisait des dizaines de bras et de jambes mortes, infatigables, animées par une énergie mauvaise et infâme dans le seul but d’étreindre la chaleur de la vie, de la boire, comme un nectar précieux, jusqu’à la dernière goutte. Bientôt la masse grouillante de chairs putréfiées les engloutirait et les dévorerait vivants. Elle n’avait pas a se soucier des points de côté, des blessures ou même de l’obscurité, elle avançait et jamais ne relâchait son attention, sa volonté de, pour quelques secondes seulement (dans un feux d’artifice rouge sang), retrouver la pulsation d’un cœur , le rythme de ce qui est et respire.

Ce n’était pas tellement les cohortes de morts-vivants qui faisaient fuir la petite unité (après tout ils avaient eux aussi connu la mort, et un nombre non négligeable de fois, toujours les armes à la main face à des horreur parfois au-delà du descriptible) mais leur sombre maître qui avançait a la suite de sa légion damnée, Géant impie de muscles et d’écailles, rejeton des ténèbres qui crachait l’acide et marmonnait des formules insensées et obscènes entre ses dents longues comme autant de couteaux, ses quatre bras fendant l’air follement dans des entrelacs compliqués. Contre celui-là, Ulrich le savait, point d’espoir de victoire, pas sur son terrain, pas selon ses règles. Il fallait plus de braves, des guerriers Berserkers et un Maître des Runes, pour que cette fois encore les dieux soient victorieux.

Un groupe d’une demi-douzaines de créatures humanoïdes verdâtres aux rires de hyènes les talonnaient de plus en plus dangereusement, les griffes tendues en avant dans une version terrifiante et absurde de chat perché. Le combat devenait inévitable et il fallait l’expédier vite avant que le reste de la légion des « deux fois nés » ne soit sur eux. D’un seul mouvement fluide, Ulrich se retourna et décapita le premier poursuivant avec sa longue épée runique, avant d’entamer une série extrêmement rapide de moulinets, comme un véritable mur d’acier sur lequel deux autres créatures vinrent s’éventrer. Pendant ce temps, Erik chargeait comme un sanglier furieux, le bouclier en avant et le marteau de guerre brandi, écrasant une des goules contre la paroi suintante des égouts avant de lui broyer la tète comme un fruit trop mur. Les deux dernières créatures prirent Ulrich en étau, son épaule gauche fut déchiquetée d’un seul coup de serre trop rapide pour être esquivé, et seule la force surnaturelle du guerrier lui permit de continuer a manier son espadon de sa seule main droite, alternant parades et attaques pour maintenir les morts-vivants a distance. Erik vint rapidement le soutenir, inversant le rapport de force de façon irrésistible. Il fallut reprendre la course aussitôt les deux derniers maudits réexpédiés dans l’au-delà car la masse putréfiée des zombies n’était plus qu’à une dizaine de mètres tandis que derrière eux l’obscurité elle-même semblait se mouvoir.

La sortie se rapprochait, l’espoir serrait le cœur de chaque membre du groupe. Plus que quelques mètres et ce serait la lumière du jour, la sécurité, si seulement…si seulement il n’y avait pas un comité d’accueil comme celui qui se dessinait a contre jour, au pied de la bouche d’égout.

Trois silhouettes massives et arrogantes au crane rasé à blanc. Celui du centre devait avoisiner les deux mètres et semblait taillé dans le roc -littéralement-, il ne portait pas d’arme contrairement aux deux autres à la peau argentée qui arboraient respectivement une gigantesque épée a deux mains à la poignée sculptée en forme de crucifix et un fusil a pompe automatique dernier modèle (« Arme de lâche », ne put s’empêcher de penser Ulrich) , ils avaient l’air aussi surpris de les trouver là que le groupe d’Ulrich lui-même, mais quand ils aperçurent les armures de cuir et les armes runiques dans les poings des guerriers, leurs traits se durcirent automatiquement. Le titan de pierre s’avança au devant d’eux et hurla, son cri semblait comparable a un petit big-bang. Karl et Erik, qui étaient en tête, moururent sur le coup projetés comme des fétus de paille sanguinolents contre les murs. Ulrich s’était par réflexe mis devant Sissel et sentit son crane exploser, mortellement touché, il le savait. Il s’effondra en arrière en priant Thor de l’accueillir de nouveau dans la demeure des dieux. Il eut juste le temps de voir Sissel se faire écraser la tête contre un mur a coup de Doc Martens par le skinhead au fusil qui maugréait sur ces « pourritures païennes », tandis que ses deux camarades faisaient face aux non-morts avec un rictus méprisant, avant de fermer les yeux et de finir sa vie.

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